Articles universitaires

Éthique du soin

Leclercq Emmanuel
Doctorant en philosophie
Février 2011
Réflexion philosophique.

Philosophie,
Éthique du soin.

 

Comment faire que la  philosophie ne soit pas tant une initiation à l’éthique et à des principes fondamentaux extérieurs à la question du soin, qu’une formation éthique visant la rénovation du soin par l’attention au malade ?

Traiter un malade en être humain est plus facile à envisager qu’à mettre en pratique jour après jour. Or c’est dans la gestion de leur vie quotidienne que les malades sont le plus perturbés. Ils perdent en effet tout ce qui fonde habituellement leur identité, pour revêtir «l’identité maladie » qui envahi leur champs spatial,  temporel et relationnel.

Respecter un malade, c’est d’abord respecter son nouveau territoire, c’est respecter son intimité. Car l’une des spécificités de la relation soignant-soigné est précisément son caractère intimiste. La démarche soignante vise à réintroduire ou conserver ce qui caractérise un malade, ce qui nous entraîne nécessairement dans une relation d’intimité. Vivre cette relation soignante intime, c’est être introduit dans le monde de la personne malade, être le témoin de sa nudité, assister aux manifestations de son désarroi, toucher et manipuler ce corps qui ne se livre habituellement qu’à des mains maternelles ou amoureuses. Respecter l’autre c’est alors s’efforcer d’être le dépositaire bienveillant et attentif de ses réactions et manifestations. Ce caractère  d’intimité est par conséquent indissociable de la notion de respect. Ceci ne s’explique pas, ne se démontre pas.

Pouvons nous cependant parler de respect de la personne malade, de sa liberté, de son droit de disposer d’elle même, lorsque nous substituons à sa volonté pour décider à sa place de ce qu’il convient? Lorsque nous nous dérobons pour échapper à ses interrogations. Lorsque nous décidons  de sa destinée sans qu’elle puisse intervenir, et tout cela le plus souvent, au nom de l’organisation, de l’ordre, du règlement.

Le respect de la volonté d’un malade peut-être bafoué par exemple du fait de manque de personnel: celui que l’on fait attendre pour avoir le bassin, la personne âgée que l’on conduit de force dans la salle de restaurant alors qu’elle ne veut pas prendre son repas avec les autres ce jour là, car elle n’a pas fin. Cependant, même lorsqu’on ne dispose pas toujours de moyens nécessaires, on peut toujours rendre les choses plus supportables: c’est dans la détresse que l’on est le plus sensible au poids d’un mot, d’une intonation, d’un sourire.

Un soignant doit donner sens à un acte technique afin de la rendre acceptable pour le malade. C’est toute la différence entre l’acte réalisé sur le corps objet, et le sens qu’il peut prendre pour la personne soignée au travers de son corps sujet. Ainsi la toilette ne consiste pas à rendre le malade propre, mais à lui apporter soin et bien-être, en essayant que cette toilette  prenne sens pour elle, dans la vie qui est la sienne. En effet, nombres de malades ont tendance à moins se laver, à ne pas s’habiller, à se négliger à l’hôpital, non qu’ils n’en aient plus les capacités physiques, mais parce que cela n’a plus de sens à leurs yeux.

Alors que certain les opposent, il faut considérer  que faire les soins et prendre soins, sont des notions complémentaires. L’habileté technique est un préalable indispensable, car on ne peut pas entrer en relation qu’avec  quelqu’un envers qui l’on a confiance, mais la prestation infirmière est surtout présence et écoute. L’infirmier ou l’infirmière, debout, dans un uniforme blanc, est avant tout là pour rappeler à la personne, allongée et affaiblie, que cette différence ne lui retire pas sa citoyenneté, qu’il est avant tout un être humain, reconnu comme tel. L’accompagnement véritable consiste à faire un bout de chemin avec le malade, aller à sa rencontre sur le chemin qui est le sien.

Soigner c’est libérer, c’est faire renaître. C’est aider celui qui souffre à sortir de son isolement, à bâtir un projet de vie compatible avec son état. C’est refuser une relation infantilisante et paternaliste, en aidant l’autre à redevenir adulte. C’est offrir des choix et tenter de les faire accepter.

Le soignant ne bénéficie malheureusement pas encore de la formation universitaire qu’il réclame depuis des années. Il est loin de posséder les connaissances et les capacités d’analyse des philosophes. Mais de par sa fonction première (rappeler l’humanité de la personne, sa présence et son ouverture au monde) et son vécu au quotidien en confrontation avec la maladie et la mort (ce qui l’ amène  chaque jour à affronter des questions existentielles), ne pourrions nous pas dire que le soignant incarne une philosophe en action? Le philosophe est un penseur, le soignant est un acteur de la philosophie.

La philosophie du soin ne vise en fait ni à dénoncer la technique médicale pour elle même, ni à attendre qu’elle résolve par son évolution les problèmes éthiques. Elle cherche à penser les manières dont les techniques peuvent, y compris dans leur matérialité, s’intégrer à la visée du soin. Elle ne vise pas à ajouter de l’extérieur, une dimension soignante à la médecine technique existante, mais à penser le soin au coeur même de la technique et de la médecine.

Si la distinction entre l’objectivité des symptômes et de causes de la maladie d’une part, et la subjectivité de l’expérience du malade d’autre part, est indispensable, si les traitements et le soin lui même requièrent l’objectivation scientifique, la médecine peut aussi masquer la visée du soin et l’accès aux normes du malade; la spécialisation des disciplines, risque  de cette occultation de l’expérience subjective du malade.

Comment faire que le soignant articule la logique des savoirs et des savoirs faires impliqués dans le soin et la logique existentielle du malade?

Comment faire que la logique de connaissance et de maîtrise qui est à l’oeuvre de la médecine n’empêche pas la reconnaissance de la réalité même de l’épreuve de la maladie, du corps abîmé, de l’identité par l’intervention soignante? Ces question sont essentielles tant l’absence de soin implique et révèle l’absence de relation humaine et sociale.

Le soin requiert une attention portée au non- sens et aux souffrances multiples que la maladie implique pour la personne qui en est affectée. Sa visée appelle une compréhension globale de la norme de vie perdue par la personne malade afin de l’aider en restaurer (ou a instaurer) une norme de vie qu’elle éprouve et juge par elle- même et pour elle même comme sienne. Compréhension et respect de l’individualité, le soin n’en ai pas moins institution d’une relation. Le soin répond notamment au besoin du malade de partager l’épreuve qu’il traverse. Il permet de briser la solitude face à la maladie et, par cette médiation, il peut aider la personne malade à donner à sa maladie et à sa vie au sens personnel qui guidera ensuite les choix thérapeutiques. Le soin apparaît dès lors comme la finalité et le sens même de la médecine.

Contribuer à une philosophie du soin demande de converger différentes approches réflexives dans les divers champs de la médecine qui mobilisent de manière intense la question du soin. Ce projet rencontre aussi les problèmes soulevés par l’éthique du care. Il serait intéressant de s’interroger sur la manière dont cette réflexion peut initier  le soignant à se décentrer du point de vue de la technique médicale pour (re)connaître l’existence et la légitimité de celui du malade. Comment faire que la philosophie ne soit pas tant une initiation à l’éthique et à des principes fondamentaux extérieurs à la question du soin qu’une formation éthique visant la rénovation du soin par l’attention au malade?

 

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