Articles universitaires

Réflexions sur l’homme capable

Leclercq Emmanuel
Doctorant Lyon III
Philosophie
Février 2014.

Le passage de l’homme coupable à l’homme capable dans la pensée de Paul Ricœur.

 

Introduction à cette notion d’ « Homme capable ».

Il n’est pas rare de voir traiter quelqu’un « d’incapable ». La force de l’injure vient de ce qu’elle identifie la personne avec les capacités qui lui font défaut. Cette confusion, au vrai, n’est pas un fondement. L’identité des personnes, n’est pas comme celle des choses, fonction de la possession de certaines propriétés : elle est relative à l’exercice de certaines capacités. Aussi, la question « qui » reste-elle une question abstraite tant qu’elle ne signifie pas plus précisément : Qui parle ? Qui agit ? Qui raconte ? Qui est responsable ? Or ces questions, à leur tour, impliquent l’attribution singulière de certains pouvoirs (de parler, d’agir, de raconter…). Nous pourrions leur ajouter ceux de promettre et de se souvenir. Ils constituent ensemble « l’homme capable ». Le jugement d’incapacité lui-même les suppose : il n’a de sens que parce que l’homme qu’il juge avait d’abord était présumé capable. Cet homme capable, n’en est pas moins, en effet, un « homme faillible » : c’est un homme capable aussi de mal faire. C’est de cet homme que Ricœur a tracé le portrait. Il n’avait pas ignoré cependant les ressources inemployées qui subsistent en lui. Ce sont ces ressources qu’il n’a ensuite cessé d’explorer et qu’il a finalement réunies dans la thématique de l’homme capable. Apparue tardivement dans son œuvre, cette thématique n’en constitue donc pas moins une clef de voûte.

C’est dans le Parcours de Reconnaissance, qu’est exposée « l’herméneutique de l’homme capable », qui rassemble des remarques dispersées auparavant dans divers ouvrages. Les différentes figures du « je peux », y sont mises en continuité avec l’analyse aristotélicienne de la praxis, dont elles étendent l’application et qu’elles portent à un degré inédit de réflexion. La notion « d’attestation » évoquée par ailleurs, porte la marque d’une telle réflexion. Elle est définie dans ce contexte comme « le mode de croyances attaché aux assertions de la forme : « je crois que je peux ». Ce mode de croyance est nécessaire à l’accomplissement de nos capacités. Toutes s’enracinent cependant dans le fond actif de notre être. Aussi, était-ce, dans un texte plus ancien, l’ontologie aristotélicienne de l’acte et de la puissance qui était sollicitée pour donner son assise à l’homme capable[1]. Nos diverses capacités supposent une même force d’affirmation. Elles expriment un « même désir d’être » et un même « effort pour exister ». Mais la croyance qui nous attache à nos capacités n’a pas seulement sa source en nous-même. C’est ce que montre déjà, dans l’Homme faillible, l’analyse de la « requête d’estime » où l’on peut discerner  « un désir d’exister, non par affirmation vitale de soi-même, mais par la grâce de la reconnaissance d’autrui »[2]. L’imputabilité, à sa manière, le montre : c’est « un autre, en comptant sur moi, qui me constitue responsable de mes actes »[3]. Et nous pouvons penser plus généralement, que la reconnaissance de soi comme porteur de certaines capacités suppose la reconnaissance mutuelle. Cette dernière ne peut être séparée cependant des formes concrètes de la vie sociale. Elle dépend autant de l’économie et des institutions que des valeurs et représentations qui forgent nos diverses appartenances. Les capacités peuvent-être alors revendiquées comme des droits distincts de ceux qui s’attachent aux biens extérieurs : elles deviennent l’enjeu d’un combat dont le sens est indivisément éthique et politique.

L’homme capable n’est pas seulement toutefois « l’homme agissant » : il se montre, dans tous ses combats, également « souffrant ». C’est donc un homme partagé entre sa responsabilité, et sa vulnérabilité. Un même fil relie, en ce sens, la phénoménologie de la volonté, l’anthropologie de l’homme faillible, et l’herméneutique de l’homme capable.

A l’issue de cette Introduction, essayons maintenant d’approfondir cette notion.

Dans son ouvrage Soi-même comme un autre, Ricœur entend par visée éthique, « la visée de la vie bonne » avec et pour autrui dans des institutions justes »[4]. Il serait intéressant  d’examiner les présuppositions anthropologiques fondamentales de cette conception éthique. Je ne parle pas de l’anthropologique empirique au sens kantien du terme, (qui vise la connaissance de l’homme en général, ses facultés, son habileté dans la vie, et sa capacité de sagesse pratique), mais d’une anthropologie philosophique qui est proche de ce que Kant, dans sa doctrine de la vertu (deuxième partie de la Métaphysique des mœurs, Introduction chapitre XIV), appelle l’anthroponomie qu’il oppose à l’anthropologie empirique par le fait qu’elle est « établie par la raison inconditionnellement législatrice »[5], et qui constitue ce qu’il nomme « l’idéal de l’humanité dans sa perfection morale ».

Or pour Ricœur, par anthropologique philosophique, il faut entendre la conception de l’être humain qui fait la condition de l’éthique et qui, dans ce sens, demeure pré- éthique comme elle demeure aussi pré- juridique. Car c’est la vue fondamentale de l’être humain qui détermine le vivre-bien dans tout son  ampleur, c’est-à-dire qui ne « se limite pas aux relations interpersonnelles, mais s’étend à la vie des institutions »[6]. Quelle est donc l’anthropologie de Ricœur avec l’idée de l’action humaine qu’elle implique ? Soulignons qu’à l’opposé des présentations courantes de l’éthique et du droit, il ne parle pas des actions morales et juridiques selon une doctrine close de l’éthique et du droit. Cependant, il insère les études 7 et 9 de Soi-même comme un autre qu’il nomme sa petite éthique dans un cadre anthropologique, phénoménologique et herméneutique plus large qu’il a développé dans les études précédentes.

Les deux concepts qui expriment au mieux son anthropologie philosophique sont les concepts de capacités et de communication. L’idée de l’homme capable est au centre de son œuvre. De ce fait, cette idée atteint son sommet dans un symbolisme normatif que cet homme partage avec d’autres. C’est ainsi, que nous pouvons dire que l’in des principes de sa philosophie est la capacité humaine innée de communication symbolique. Et c’est en particulier par cette capacité qu’il peut se soumettre à la règle de la justice qui exige l’égalité devant la loi.

Mais examinons plus précisément comme il élabore cette idée. Il est vrai que dans Soi-même comme un autre,  il part d’une distinction latine entre l’identité comme idem (« mêmeté ») et identité comme ipse (ipséité). Par-là, il ne vise pas seulement à accentuer la différence entre les choses physiques et la vie personnelle. Il s’agit en fait d’analyser le sens du Soi qui ne peut être réduit à une substance ou une chose, bien qu’il soit toujours une chose.

Idem indique dans sa forme la plus élevée, la permanence dans le temps de quelque chose que nous observons ou présupposons  comme inchangé au cours du temps, dans un laps de temps plus ou moins long, alors que ipse vise la cohérence de vie attribuée ou attestée.

De plus, nous pouvons nous informer sur idem au moment où l’on nous pose la question : en quoi consiste le même ? Alors que nous pouvons obtenir une connaissance d’ipse, quand nous posons la question : qui est le même qui parle, agit, se raconte, prend une responsabilité, etc. ?

Cependant, cette distinction latine entre idem et ipse, ne constitue pas en soi un argument pour comprendre l’homme comme un être capable, car, nous dit Ricœur, par la manière dont l’idée du humain est exprimé dans le cogito cartésien,  (« je pense donc je suis »), l’homme est blessé, dans la mesure où le Soi, dans la modernité, ne peut plus s’affirmer comme sujet souverain avec l’assurance de posséder la Vérité. C’est pourquoi une analyse anthropologique et phénoménologique de Soi comme être agissant selon les descriptions sémantiques, pragmatiques et herméneutiques de l’action, peut nous fournir la chaine d’arguments dont nous avons besoin pour nous assurer la connaissance de nous-même en tant que sujets.

C’est ainsi que nous pouvons mentionner les différents degrés dans l’approche de la compréhension de l’homme coupable.

        1er  degré : la distinction entre deux objets de référence : chose et personne (l’approche sémantique).

Dans Soi-même comme un autre, Ricœur commence par une description sémantique du Soi inspirée par les analyses de l’identification des individus, développée dans l’ouvrage de Peter Strawson, Les Individus.

En effet dans ce dernier, Strawson distingue deux unités fondamentales dans nos identifications  de ce qui est : les choses et les corps vivants. Les personnes que nous sommes nous-même sont des corps vivants que nous désignons par « je », ou « tu » ou « nous », et « vous », mais non pas par « ceci » ou « cela ». Il s’ensuit que l’identification des corps vivants, leur attribution, diffère de l’identification des choses.

Cependant, comme le fait valoir Ricœur, Strawson ne vise que les actes de significations référentielles, et ne reconnais pas une différence entre « je » et « tu » d’une part, et « quelqu’un » et « n’importe qui » d’autre part. La désignation chez Strawson de la personne comme particulier de base « ne met pas l’accent sur la capacité de la personne à se désigner elle-même »[7]. C’est pourquoi dit Ricœur « dans les Individus, la question de soi est occultés par principe, par celle du-même au sens de l’idem »[8]. Ce qui importe pour Strawson, c’est que les Interlocuteurs se réfèrent à la même chose. Le choix ipse reste caché.

        2ième  degré : l’autoréférence par la réflexion sur les actes de discours (l’approche pragmatique).

Afin de s’approcher d’une compréhension de cet ipse, Ricœur passe de la sémantique de la référence à la pragmatique de l’autoréférence, c’est-à-dire qu’il développe une théorie du langage analysant l’usage du langage dans les contextes déterminés d’interlocution. Une telle pragmatique n’opère pas une description empirique des actions communicatives, mais examine les conditions de possibilité qui règle l’emploi effectif du langage dans des situations d’interlocution. Une telle pragmatique n’opère pas une description empirique des actions communicatives, mais examine les conditions de possibilité qui règlent l’emploi effectif du langage dans des situations d’interlocution. La visée a maintenant changé, des énoncés qui réfèrent à quelque chose ou à quelqu’un, au locuteur même, à son énonciation, à son acte même de dire. L’analyse concerne maintenant comment faisons nous quelque chose en parlant, comme Austin l’a exprimé dans son livre sur les actes de discours, The speech-actes, paru en 1962, traduit en français sous le titre suivant : Quand dire, c’est faire [9]. L’analyse de Ricœur, en reprenant celle d’Austin, s’attache désormais à comprendre comment je parle à toi pour communiquer avec toi plutôt que d’expliquer ce que je dis. Par-là, se présente le sujet de l’acte même de parler, du fait «  que ce ne sont pas les énoncés, ni même des énonciations, qui réfèrent, à quelque chose, mais des sujets parlant usant des ressources de sens et de la référence de l’énoncé pour échangers leurs expériences dans une situation d’interlocution » et « que la situation d’interlocution n’a valeur d’évènement que dans la mesure où les auteurs de l’énonciations sont mis en scène par le discours en acte et avec les énonciateurs, leur expérience du monde, leur perspective sur le monde »[10]. Le sujet est ici l’irremplaçable ou la personne insubstituable. Par –là même , son corps qui est son corps propre est « à la fois un fait du monde et l’organe d’un sujet qui n’appartient pas aux objets dont il parle »[11].

        3ième degré : Analyse de la spécificité de l’action humaine : la causalité du commencement et sa portée (la sémantique de l’action).

Or, si ce sujet est vraiment un corps vivant, il ne l’est pas seulement comme sujet parlant, mais également comme sujet agissant. C’est pourquoi Ricœur pense qu’il faut passer à un troisième niveau, après ceux de la sémantique de la référence et d’une pragmatique du sujet parlant, à savoir une sémantique de l’action telle qu’elle a été développé dans les ouvrages des philosophes anglo-saxons. Ces ouvrages contribuent assez peu à répondre à la question : « qui agit », car ils ne traitent que « le quoi » et « le pourquoi » de l’action.

En effet, la théorie analytique, décrit l’action comme quelque chose qui arrive. Et même si l’on fait la distinction entre action et évènement, cette distinction est souvent effacée par le fait que l’action est comprise comme un évènement, un évènement particulier. Sa différence spécifique n’est pas respectée. Un effacement pareil subit la distinction entre motif et cause. L’explication de l’action par les motifs renforce le concept d’une action qui « fait arriver » et la transforme en une forme de cause. Le rôle de l’agent est ainsi absent s’il n’est pas totalement exclu.

Selon Ricœur, nous constatons donc cet effacement quand nous lisons Wittgenstein et Anscombe. Dans leurs ouvrages, l’analyse de l’intention n’explique l’action que comme un phénomène public. L’action n’est traitée que comme idem et non pas comme ipse. Cette occultation du sujet agissant se produit par la subordination des explications téléologiques à une logique causale-naturelle d’explication. Il s’ensuit qu’une théorie analytique de l’explication ne peut pas aider beaucoup à la compréhension de la capacité humaine. Ricœur est donc obligé d’examiner d’autres ressources possibles pour une réflexion sur l’action, et tourne dans la quatrième étude de Soi-même comme un autre, son attention de l’explication causale-naturelle vers l’ascription. Il revient ainsi à la question telle qu’analysée par Strawson : comment comprendre la personne à laquelle nous pouvons attribuer une action.

Il est important à ce moment de la réflexion de nous arrêter sur un thème fondamental qu’est la liberté. Mais comprenons là dans le sens kantien, commenté par Ricœur.

Le tournant accompli par Ricœur s’opère dans un commentaire de la distinction chez Kant, dans sa Critique de la raison pure de 1781, entre liberté et nécessité naturelle, et via l’antinomie que décèle Kant lorsqu’on applique cette distinction à l’action humaine.

Il s’agit donc de la troisième antinomie dont la thèse est la suivante :

« la causalité suivant les lois de la nature n’est pas la seule d’où puissent être dérivés les phénomènes du monde dans leur ensemble. Il est encore nécessaire d’admettre, pour les expliquer, une causalité par liberté »[12]. A cette thèse s’oppose l’antithèse suivante selon Kant : « il n’y a pas de liberté, mais tout le monde arrive suivant les lois de la nature »[13].

L’issue que propose Kant à cette antinomie consiste à situer la liberté et la nécessité selon deux niveaux différents de la réalité. Il conçoit la liberté comme une idée purement transcendantale sans aucune liaison directe avec le niveau des apparences où la nécessité est supposée s’imposer.

Mais Ricœur s’intéresse plus à la description kantienne d’une causalité alternative qui vaut pour la liberté qu’à la manière dont Kant lui-même pense résoudre l’antinomie. Son problème consiste à se demander comment un être humain (qui s’identifie comme un ipse ou identité personnelle, et non pas comme idem ou identité matérielle), peut-être considéré en tant que personne responsable dont les actions, pour reprendre l’expression d’Aristote, peuvent être jugées ou louable, voir blâmable.

Ce problème est celui de la possibilité d’imputation qui est « l’acte de tenir un agent pour responsable d’actions tenues elles-mêmes pour permise ou non permises »[14]. En d’autres termes, la question est la suivante : que l’homme doit-il être, s’il faut être en mesure de pouvoir se concevoir comme être moral ?

La réponse de Ricœur est la suivante : il faut d’abord que l’homme soit capable d’accomplir des actions complexes. En effet, les actions auxquelles nous attribuons louange ou blâme ne sont pas simple, mais consistent en des chaines d’actions ou des pratiques ayant un sens moral, légal, politique et idéologique.

Ensuite, si l’action est susceptible d’être punie par la loi, l’imputation juridique qui mène à la condamnation demande « une procédure accusatoire qui a, comme tous les actes de discours, ses règles constitutives propres »[15].

Finalement, ce qui importe le plus à Ricœur, n’est autre que l’inscription de responsabilité au sens éthico-légal qui présuppose un lien causal se rapportant à un pouvoir d’agir. Cette capacité d’agir est déjà reconnue par Aristote, lorsque dans son Ethique à Nicomaque, il analyse la proairesis (la préférence) qui, en tant qu’acte par lequel je préfère quelque chose à autre chose, est un fait primitif, ce qui ne veut pas dire un fait brut, mais une réalité plus fondamentale que mes évaluations particulières de mes propres actions et de celles des autres.

Selon Ricœur, c’est ce concept aristotélicien du pouvoir d’agir d’un agent que Kant met en lumière dans sa discussion portant sur la troisième antinomie. Kant reprend ici le concept de causa efficiens dans sa signification ancienne qui vient de la Métaphysique d’Aristote mais que Galilée réprouvait dans son exposé de la physique lorsqu’il réduisait la causa efficiens à un rapport simple d’une chose) une autre qui la précède et la détermine. Dans l’argumentation que Kant fait valoir, il décrit la causalité de la liberté comme « une spontanéité absolue des causes, spontanéité qui consiste à commencer de soi une série de phénomènes qui se déroule suivant des lois naturelles »[16], c’est-à-dire une cause qui n’est pas elle-même l’effet d’une autre cause. De plus, il distingue dans sa remarque sur l’antinomie un commencement du monde et un commencement dans le monde. Seule, l’idée d’un commencement dans le monde caractérise la liberté. Ce commencement est selon Kant « relativement premier », puisqu’il y a toujours dans le monde un état antérieur des choses : en effet, par le fait que la liberté est le commencement d’un chaine causale qui peut être attribué à l’agent que nous trouvons lorsque nous demandons « sui » ou, plus longuement, « qui est l’auteur de l’action ». Une telle causalité, dit Kant, n’existerait pas si tout se produisait selon les lois naturelles que la physique découvre, car dans ce cas, il n’y aurait toujours qu’un commencement subordonné, et jamais un commencement premier. Si la nécessité naturelle était absolue, une série causale d’une action complexe ne pourrait jamais être reconnue comme cohérente et complète, car on pourrait en ce cas, ne parler que de l’ouverture sans fin du procès causal. Par conséquent, on ne pourrait jamais être en mesure de désigner la cause première d’une action.

Mais si la liberté n’est pas le commencement absolu du monde, comment pouvons-nous la poser comme un commencement premier ? Kant résout cette antinomie en parlant, dans sa remarque sur la troisième antinomie, d’un « commencement relativement premier »[17], et ajoute que, par- là, il ne parle pas ici du commencement d’une causalité. En d’autres termes, il ne parle pas ici du commencement du monde dans le temps et dans l’espace, mais du commencement qui vient d’une action ou d’un agent ? Ce commencement possède comme l’exprime Ricœur, une portée de conséquence qui rend possible que nous puissions attribuer à un agent une responsabilité. Or un agent, n’est pleinement responsable que pour son action immédiate, il n’est pas responsable au même degré des conséquences lointaines qui ne sont pas dues à lui seul, mais a beaucoup d’autres choses.

Nous pouvons donc dire que la conséquence immédiate de notre action appartient au présent comme un protention. C’était à cela qu’Husserl pensait lorsque, dans son analyse de la conscience intérieur du temps, il parlait des protentions comme une partie de l’action présente même. (Capacité à aller de l’avant, à avancer). Il distinguait entre le futur qui est inclus dans le présent et le futur lointain qui dépend des circonstances et des actions des autres. On retrouve ici la distinction qu’opéraient Weber et Aron entre la responsabilité morale et la responsabilité historique.

La portée d’une décision responsable est limitée par le fait que la durée d’une chaine d’actions est close. Il est vrai que nous pouvons former la chaine de différentes manières, mais l’essentiel, est que la chaine n’est pas infiniment ouverte.

Or quelle est alors la relation entre ces deux formes de causalité ? Comme le souligne Ricœur, la distinction chez Kant  entre le phénomène et l’objet transcendantal est moins intéressante que le fait qu’il reconnaisse que nous puissions rencontrer l’effet de la causalité de la liberté dans les phénomènes.

Avec Arendt, Ricœur préfère parler d’initiative. Il s’agit de comprendre le commencement de la liberté comme capacité pré-éthique, à l’encontre de Kant, qui prématurément, la conçoit comme morale. Il faut en fait parler plutôt avec Aristote  d’une réunion des causalités (un synaition qui a lieu quand nous intervenons dans le cours des évènements en mettant en mouvement une nouvelle chaine d’évènements), qui opère comme une causalité singulière.

        4ième degré : l’attestation de l’identité narrative.

L’idée de la portée de la causalité de la liberté, implique l’idée de la temporalité de notre vie agissante et souffrante. Et cette temporalité n’est compréhensible que par le récit. Nous vivons comme si notre vie pouvait-être racontée. Et comme si l’histoire à une fin, notre vie a une visée que nous attestons.

                                       

        5ième degré : Compréhension de la responsabilité.

Cette narrativité qui nous donne une identité est la condition de notre vie en commun et la possibilité d’une vie bonne, donc de l’éthique. Car la vise de notre vie narrative, est une sorte de promesse à nous-même et à autrui de rester nous-même, de sorte que l’autre peut compter sur moi et vice versa. Dès  lors, nous pouvons répondre aux questions : qui a fait ceci et qui veut cela ? C’est-à-dire tout simplement, être responsables.

Petite Conclusion :

Après Soi-même comme un autre, Ricœur s’est beaucoup intéressé à l’ordre symbolique en tant que « règle de justice ». En effet, c’est par le sens de la justice que nous pouvons créer une société bonne et juste. Par-là même, s’achève notre capacité dans la création de la communauté sociale.

 

[1] Paul Ricœur., Réflexion faite : autobiographie intellectuelle, Paris, esprit, coll. « Philosophie », 1995.

[2] Paul Ricœur., Philosophie de la Volonté. Finitude et culpabilité. I. L’homme faillible. Paris, Aubier, 1960.

[3] « Responsabilité et fragilité » Autres temps, n° 76 – 77, 2003, p. 130).

[4] Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, p. 202.

[5] Emmanuel Kant., Œuvres Philosophiques, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1980, t III, p. 690.

[6] Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 227.

[7] Ibid., p. 44.

[8] Ibid., p. 45.

[9] J.-L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970

[10] Paul Ricœur., op. cit.

[11] Ibid., p. 72.

[12] Emmanuel Kant., Œuvres Philosophiques, t. I, p. 1102.

[13] Ibid., p. 1103.

[14] Paul Ricœur., Soi-même comme un autre, op. cit., p. 121

[15] Ibid., p. 123.

[16] Emmanuel Kant, op. cit., p. 1104.

[17] Ibid., p. 1106.

 

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