Rétroviseur

Le Rétroviseur #4 : La loi sur la fin de vie, au nom du désir puis-je tout faire?

L’oeil du Philosophe Emmanuel Leclercq

Faut il limiter les dérives ou dériver avec les limites?

Aujourd’hui on demande le droit de mourir et demain demandera t-on le droit de vivre?…

Il y a quelques jours nous apprenions le décès de Vincent Lambert. Malheureusement depuis plusieurs années, cette « affaire Vincent Lambert » a défrayé la chronique. Une famille déchirée a été mis au devant de la scène par les médias. Face à ce déchirement chacun d’entre nous s’est donné sa propre opinion: soit laisser Vincent vivre en l’accompagnant jusqu’au bout, soit le faire mourir pour abréger ses souffrances. Cette dernière option a été choisi. Est ce une dérive éthique?

A l’heure où la loi sur la fin de vie arrive à l’Assemble Nationale, il est intéressant de relever les trois paradoxes qu’elle suscite:

  • Premièrement, donner la mort engendre une souffrance supplémentaire: il y a en effet une double souffrance: la souffrance physique du patient et la souffrance morale de celui qui administre le traitement en vue de la mort. En voyant souffrir son semblable, il est ramené à sa vulnérabilité et sa fragilité et donc à sa propre souffrance. Dans notre société ou le paraître prône, il ne veut offrir à ses proches une image de souffrance. Il veut cacher ses imperfections, et ses fragilités. Il angoisse de se voir partir un jour en souffrant, sous le regard de ses proches Il veut leur épargner cela. L’homme voulant abréger les souffrances de ses proches, cache finalement la sienne. De fait c’est parce que je ne n’accepte pas mes propres souffrances et fragilités, que je vais abréger les souffrances de mes proches jusqu’à les faire mourir. J’ai peur de voir souffrir l’autre, car en le voyant souffrir je souffre à mon tour. Alors je vais l’aider à mourir. Mais finalement celui qui donne la mort souffre moralement de l’avoir donnée. Donner la mort engendre une nouvelle souffrance, c’est indéniable. Alors n’est ce finalement pas dans l’acceptation de sa fragilité que se puise la force d’aller de l’avant?
  • Deuxièmement, la dignité de l’homme c’est l’homme vivant et non mort! il est important de rappeler que l’homme a une dignité. Et la dignité n’est pas dans l’homme couché mais dans l’homme debout! Qu’est ce que la dignité de l’homme si ce n’est le respect, la considération ,l’honneur et la vertu… La dignité ce n’est pas de ne pas souffrir ou de stopper la souffrance. La dignité humaine se vit et se concrétise dans l’accompagnement de la personne jusqu’au bout. Accompagner ne veut pas dire tuer l’homme, mais atténuer ses souffrances. Accompagner signifie être présent, « être là »: tel est le Dasein d’Heidegger. « Etre là car tu es là, être avec toi car je suis semblable à toi ». Tu es un autre moi même. Ainsi la règle d’or prend tout son sens: « Ne jamais faire à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse » Ce qui réunit les humains, ce n’est pas ce qu’ils ont, mais ce qu’ils sont. Être, est ce qui rassemble. Avoir, est ce qui parfois divise. La dignité humaine est celle qui devrait nous rassembler car elle nous centre sur l’essentiel. La dignité nous rend beau: ce qui fait la beauté de la personne ce n’est pas ce qu’elle a, mais ce qu’elle est: elle est car elle vit. Du moment où le coeur bat, l’homme vit; La dignité de l’homme c’est l’homme vivant. Un homme vivant est un homme debout qui avance à son rythme. La dignité humaine revient à être présent dans la présence pour accueillir l’autre comme un présent.
  • Troisièmement d’un côté l’homme veut mourir pour ne pas souffrir, et de l’autre côté il souhaite être immortel! Beaucoup de personnes prônent l’immortalité de l’humain: Je veux vivre le plus longtemps possible; Or devant la souffrance de l’approche de la mort, il n’est est plus question! Au contraire il faut mourir! Quel Grand paradoxe! A l’heure où le transhumanisme ne cesse de progresser, où le chercheur aussi prudent soit il, essaie de distinguer la limite entre l’homme réparé et l’homme augmenté, il est important de réfléchir en profondeur sur cette question éthique qu’est la loi sur la fin de vie. car un jour, face à toutes les dérives que cette loi va susciter, l’assemblée nationale votera t-elle une loi sur le droit de vivre dans la dignité jusqu’au dernier souffle?

Il n’est jamais trop tard pour réfléchir: ouvrir la porte à cette loi de fin de vie, c’est ouvrir la porte aux dérives: qui va demander la mort? À qui va t-on la donner? Donne t-on la mort comme on donne un bout de pain? De plus, comment distinguer l’envie de mourir du désir de mourir? L’homme n’a jamais demandé le droit de naitre, alors pourquoi demander le droit de mourir? Ne l’oublions jamais: il y a deux instants précis dans l’existence humaine qui jamais ne pourront être maitrisables: la naissance et la mort. Vouloir maitriser ces deux moments fondamentaux, vouloir toucher à la Nature de l’homme dans son essence, n’est-ce pas mettre en péril l’humanité?

Emmanuel Leclercq

Philosophe – Essayiste

Président-fondateur du Cercle de pensée « Devenir pour Agir »

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