La figure de l’éthicien :
Un compromis anglo saxon entre l’utilitarisme et l’ éthique déontologique
« Il est indispensable que nous nous rendions clairement compte sur fait suivant : Toute activité orientée selon l’éthique peut-être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l’éthique de responsabilité ou l’éthique de conviction. Cela ne veut pas dire que l’éthique de conviction est indentique à l’absence de responsablilité, et l’éthique de responsabilité à l’absence de conviction. Il n’en est évidemment pas question. Toutefois, il y a une opposition abyssale entre l’attitude de celui qui agit selon les maximes de l’éthique de conviction, et l’attitude de celui qui agit selon l’éthique de responsabilité. Vous perdrez votre temps à exposer, de la façon la plus persuasive possible, à un syndicaliste convaincu de la vérité de l’éthique de conviction, que son action n’aura d’autre effet que celui d’accroître les chances de la réaction, de retarder l’ascension de sa classse et de l’asservir davantage, il ne vous croira pas. Lorsque les conséquences d’un acte fait par pur conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire, le partisan de l’éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l’homme et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres, des conséquences de sa propre action pour autant qu’il aura pu les prévoir.»[1].
A travers ce texte, la figure de l’éthicien n’est -elle pas ommiprésente ? Qu’est-ce que l’éthicien ? Est-il un nom, une fonction attribuée à une personne, à un corps de métier? L’éthicien est-il celui qui fait parti d’un comité d’éthique. Comme un comité d’éthique est constitué de plusieurs membres, alors chaque membre est-il un éthicien ? Or si chaque membre est un éthicien, alors ce sera une fonction ? Comment est apparue cette fonction ? a- t- elle une histoire ? Si c’est une caractéristique alors quel est sa finalité ?
On confond souvent éthique et moral. Or ce n’est pas la même chose. Une définition un peu grossière nous permettra d’emblée de comprendre la nuance: la morale a un caractère universel, alors que l’éthique a un caractère singulier. Bien entendu, nous reviendrons sur ces concepts là.
Si l’éthique et la morale ont des points de ressemblance, on pourrait émettre l’hypothèse que l’éthicien utiliserait le discours, le langage du moraliste : L’homme faisant partie d’un comité d’éthique, alors est-il éthicien, moraliste ? En effet l’homme sait utiliser le langage de la moral, nous nous laissons guider par le raisonnement moral, nous définissons nos rapports avec autrui en termes moraux. Tout cela remet en question notre conception de la nature certes, mais aussi celle de nos actes. En effet, dans les comités d’éthique, chaque membre a des arguments valides du point de vue logique, mais parfois, le débat moral semble interminable. Ce ne sont pas seulement des discussions interminables avec autrui qui tournent vite à la lutte d’affirmation, mais aussi celles que nous avons avec nous même : Quand un agent entre dans le forum du débat public, on peut supposer qu’il a déjà, implicitement ou non réglé le problème dans son esprit. Au caractère interminable de la de la discussion s’adjoint au moins l’apparence d’un inquiétant arbitraire privé. Ces débats prétendent être des discussions rationnelles et impersonnelles, mais le sont-ils vraiment ?
Quels styles langagiers devraient adopter cette personne ? Imaginons deux façons de justifier un ordre :
1) « fais ceci ou cela » je demande alors pourquoi je dois le faire ; et l’on me répond : « parce que je le veux ». Par cette réponse, je n’indique finalement aucune raison d’exécuter l’ordre autre que le respect de mes désirs. Dans ce genre de situation, la valeur de la réponse dépend de la possession par autrui de certaines caractéristiques au moment où l’ordre est reçu. La force de la justification dépend ainsi du contexte personnel.
2) Une seconde façon de justifier un ordre : A la question « pourquoi devrais-je faire ceci ou cela ? », on peut aussi avoir la réponse suivante : « parce que cela fera plaisir à beaucoup de gens »
Dans un comité d’éthique, il peut revenir à L’éthicien (si son existence soit prouvée), de prendre la parole en dernier, pour faire une synthèse et conduire à prendre une décision commune. (Dans ce cas là, l’éthicien serait une personne qui auraient comme fonction de réunir les avis et pour s’unir et arriver à un compromis).
Le membre d’un comité d’éthique serait donc un éthicien. Mais un éthicien ne serait-il pas l’expert de l’éthique, l’expert en éthique ? Il serait donc celui qui serait habiliter à guider les décideurs, à aider à prendre une décision, et à définir les limites de l’éthiquement acceptable. Nous serons alors ici même dans une nouvelle forme d’expertise, à savoir la production des avis éthiques sur des programmes spécifiques.
Toutefois, une fois sensibilisées à ces enjeux d’éthique sociale, les institutions de santé publique appellent à une nouvelle forme d’expertise, plus appliquées, habilitée à guider les décideurs et à définir les limites de l’éthiquement acceptable. Des experts éthiciens, sur une base individuelle ou collectivement au sein de comités d’éthique nationaux ou internationaux seront invités à produire des « avis éthiques » sur des programmes spécifiques. Tel est le cas, par exemple, des cadres éthiques thématiques tels ceux encadrant des interventions en situation de pandémie. Cette forme d’expertise a donné lieu à la production d’une littérature spécialisée[2] sur les enjeux éthiques liés spécifiquement aux problématiques de santé publique, en particulier autour de la revue « Public Health Ethics. Tenant comptes des avancées de la bioéthique, cette nouvelle expertise fut au service d’élaboration de cadre d’analyse adaptés aux dimensions populationnelle et communautaire, des interventions préventives.
Mais cette expertise soulève des problèmes de fond : car finalement qu’est ce qu’un éthicien ? Que se cache t-il derrière cet individu que l’on qualifierait d’expert en éthique ? Quelles sont les qualités attendues « d’une bonne expertise » éthique ? Ou encore, Quelles sont les qualités requises pour être un bon expert en éthique, autrement dit un éthicien ? Quelles sont les approches théoriques, les normes de bonnes pratiques à respecter, les valeurs ou les principes qui doivent guider l’expertise destinée à déterminer si un programme d’intervention est éthiquement acceptable ?
La sociologie et l’anthropologie de l’expertise ont bien montrée au cours des dernières décennies en quoi la notion même d’expertise est une construction sociale, mais tout autant un outil politique dans la mesure où elle sert à légitimer les intérêts de certains sous-groupes. Mais comme le souligne Robert Evans[3], une telle perspective centrée sur les modes d’attributions du statut d’expert et les usages sociopolitiques qui en sont faits, laisse ouverte la question de la nature même de l’expertise. Surtout, cette distanciation critique confine les scientifiques sociaux à l’extérieur du débat expert lui-même.
Pour éviter certaines dérives de l’expertise éthique, il est intéressant semble t-il de réfléchir sur les conditions à respecter. Réfléchir sur cette difficulté, n’est pas des moindre, car nous allons nous apercevoir, oh combien ces conditions sont assez complexes. Il y en a 4 : les 3 premières concernent l’expertise éthique savante elle-même : il s’agit de ses capacités à dépasser les cadres conceptuels savants eux même pour éviter la saturation de la réflexion. De plus, il s’agit de l’intégration des praticiens de la prévention et de la promotion de la santé dans le processus d’analyse éthique. Enfin, la 3ième condition serait celle de la reconnaissance des limites de l’expert éthicien lui-même. Une 4ième condition serait celle d’une intégration novatrice de l’expertise profane dans la définition des valeurs fondamentales et des normes morales qui devront êtres respectées comme guide pour l’action éthiquement acceptable tant dans une société donnée que dans une époque donnée.
Il sera indispensable de revenir au cours de notre travail sur chacun des points, mais d’emblée, arrêtons nous sur le 2 et 3 points qui semble importants :
Rappelons que le 2nd point est l’idée d’intégrer les professionnels de terrain dans l’identification et l’analyse des enjeux éthiques.
L’expertise éthique est généralement convoquée par les décideurs via des comités d’éthique, invités à produire (comme nous l’avons souligné plus haut), des « avis » sur l’acceptabilité éthique de tel ou tel programme d’intervention. Ces comités nationaux ou internationaux, constituent les hauts lieux de l’expertise éthique savante. Ils ont le mérite de mettre en commun les points de vue d’experts éthiciens, mais aussi d’une diversité d’experts des sciences sociales, de la médecine, de la théologie et du droit. Cette pluridisciplinarité renforce, sans aucun doute, la valeur de l’expertise. Toutefois, le recours à de tels comités d’éthiques évacues du débat des professionnels, qui, au quotidien, conçoivent et implantent les programmes de prévention et de promotion de la santé. Ceux qui, ultimement, sur le terrain, dans les institutions de santé publique, les comités régionaux ou associations, sont mandatés, pour définir les contenus et la forme des programmes d’intervention se trouvent réduits à de simples « experts techniques ». Cependant, plusieurs des enjeux éthiques soulevés par ces programmes résident non seulement dans les finalités visées, mais dans la priorisation des problèmes de santé ciblés, la définition des populations cibles et l’identification des comportements proscrits ou prescrit. L’identification de ces enjeux éthiques liés à l’intervention devrait pourtant s’imposer comme un processus continue accompagnant chacune des étapes de l’élaboration d’un programme, non seulement en amont, de la décision politique ou en aval de la mis en œuvre des programmes. L’un des problèmes éthiques les plus fondamentaux induits par la délégation de la délibération éthique à des « experts éthiciens » réside alors dans le processus de déculpabilisation et de déresponsabilisation éthique qu’il induit, indirectement, chez les professionnels responsables de la l’élaboration et de la mise en œuvre de programmes. Le défi initial pour garantir une pratique éthique de la santé publique est double : d’abord, il en sera un de sensibilisation et de formation des intervenants aux valeurs et aux principes éthiques qui doivent guider l’ensemble du dispositif de prévention. Ensuite, dans la mesure où es professionnels de la prévention sont aux premières loges pour identifier les composantes de l’intervention susceptibles de heurter les valeurs fondamentales des populations ciblées, ils sont dépositaires d’un savoir expert intermédiaire entre les expertises éthiques savante et populaire. L’ouverture de l’expertise éthique savante à une participation du publique commence par l’ouverture à ce savoir, mi-public-mi savant, porteur d’une expertise technique » en conception, opérationnalisation et évaluation de programme de santé publique.
Le 3ième point, quant à lui, rappelons- le, est de reconnaître les limites de l’expertise éthique savante :
En effet, les pratiques de la santé publique, seront éthique dans la mesure on l’expertise éthique elle-même saura bien identifier les lieux et les limites des ses contributions. Doit-elle se contenter de proposer une liste des principes éthiques adaptés à des interventions populationnelles ou encore de qualifier les règles et vertus qui seront proposées comme guides pour l’action ? Doit-elle se satisfaire de coordonner le processus d’arbitrage des conflits de valeurs ? doit-elle s’imposer comme autorité ultime de définition du bien et du mal, de l’acceptable et de l’intolérable en matière pratiques préventives ? Ces questions retiennent de plus en plus l’attention des experts.
Les critiques sur l’expertise éthique savante viennent principalement de la bioéthique elle-même. Nous pouvons résumer ici les limites invoquées. Pour certains bioéthiciens[4], l’on doit attendre de l’expertise éthique savante, qu’elle identifie ou clarifie :
a) les enjeux moraux en posant un diagnostic moral sur l’acceptabilité de telle ou telle pratique ou intervention.
b) Les principes et théories les plus pertinents pour guider les experts dans leurs analyses.
c) Les valeurs cachées, implicites, sujette aux empiètements suite à l’intervention.
d) Les procédures et processus de négociation des conflits de valeurs.
e) Les rapports de pouvoir entre les divers groupes d’intérêt concernés par une intervention donnée. L’expertise éthique devrait ainsi conduire à une cartographie des faits et valeurs moralement pertinents. Ces premières contributions doivent avoir pour mission de créer chez les décideurs et les professionnelles, une perplexité morale face aux interventions de santé publique souvent considérées, d’emblée, comme légitimes et justifiables du simple fait qu’elles visent l’amélioration de la santé et le bien commun sanitaire. Mais, au-delà de cette fonction diagnostique, l’expertise se devrait aussi d’offrir :
f) Une liste de réponse potentielles aux questions éthiques soulevées,
g) Et une liste d’arguments et de « bonne raison » pour guider l’action de ses décideurs.
Bernward Gesang[5] suggère alors que l’expertise savante doit être en mesure de construire une justification cohérente de l’action fondée à la fois sur des théories morales, des intuitions morales, des savoirs de sens commun et des connaissances empiriques non morale relevant des données probantes. Or, rappelle Madison Powers[6], même les meilleurs outils théoriques, conceptuels et méthodologiques utilisés pour spécifier et pondérer les principes, ne seront jamais en mesure de proposer un argumentaire et des justifications qui rallieront l’ensemble des groupes dont les intérêts sont en jeu[7].
Caplan[8] fut l’un des premiers éthiciens à réfléchir de façon critique aux limites de l’expertise éthique. Il rappelle qu’un expert des théories éthiques n’est pas automatiquement un expert des pratiques morales. L’expertise morale semble incompatible avec la démocratie : elle jette un double sur l’habileté de chacun à être juge de ses valeurs, et elle risque de conférer une fausse apparence d’objectivité à la décision éthique. Pour Caplan, l’expertise morale peut exister, mais les philosophes moraux ne seraient pas mieux placés que les autres pour la revendiquer. En fait, cette expertise ne disposerait pas d’une théorie éthique apte à fonder toutes les pratiques et les croyances morales. Gesang[9] partage avec Caplan sur le fait que les éthiciens ne sont que des « demi-experts, dans le sens, où « il ne pourra produire un jugement moral correct, avec une haute probabilité qu’un non expert, que s’il n’existe un consensus autour des intuitions morales fondamentales », et qu’il les organisera dans un argumentaire cohérent. Or, cette condition est difficile à remplir dans une société démocratique et pluraliste. L’expert pourra toujours voir ses postulats remis en question, y compris par des non éthiciens. An delà des limites théoriques ou académiques de l’expertise éthique, le danger réside donc principalement dans les abus de pouvoir qui peuvent conduire les éthiciens à se poser comme juge ultimes de l’éthiquement acceptable.
Une constante que l’on retrouve toutefois dans ces autocritiques de l’expertise éthique savante est que cette réflexivité ne sort pas des limites du champ éthique savant. Les mises en garde s’adressent aux dangers liées aux dérives d’interprétation, de définition ou d’arbitrage de théories, principes, intuitions ou valeur définis par les éthiciens eux-mêmes. Et surtout que cette expertise réussit mal à relever le défi que représentent le pluralisme des valeurs définis et des conditions d’une éthique pluraliste[10]. Quoi que face au constat voulant que les pays démocratiques et pluralistes, nous ne disposions pas d’une expertise morale et de jugement moraux normatifs reconnus par tous[11]. Il sera intéressant de proposer qu’une autre condition fondamentale pour la consolidation de l’expertise éthique ne santé publique est son ouverture aux valeurs fondamentales partagées par les populations concernées. L’enjeu est celui d’un arrimage du savoir éthique savant avec celui d’un savoir éthique populaire. Cette quatrième condition implique une entreprise conjointe avec les sciences sociales habilitées à la recherche empirique qui permettra de documenter cette éthique populaire. L’éthique de la santé publique s’imposera alors comme une discipline multidisciplinaire.
Une quatrième condition à remplir par l’expertise éthique savante pour asseoir sa légitimité sera de parfaire son arrimage avec l’expertise éthique profane. Cet arrimage pourrait ainsi être rendu possible par le biais d’une évolution des principes éthique classiques vers des « valeurs phares »[12], qui, au confluent des savoirs savants et profanes, serviront de points de départ aux délibérations éthiques. Mais peut-on invoquer une expertise éthique profane au même titre, par exemple, que l’on reconnaisse désormais une expertise épidémiologique profane[13] ? En effet, c’est le cas, et cette expertise s’exprime à deux niveaux :
– le premier est celui des citoyens qui participent de façon constructive aux délibérations éthiques. Fondamental, ce thème mériterait d’être traité en profondeur dans une autre publication. Mentionnons simplement que l’aptitude des citoyens à participer aux délibérations éthiques est reconnue par la grande majorité des cadres éthiques de santé publiques et que des bilans de la littérature scientifique confirment les fondements éthiques et anthropologiques[14], de même qu’épistémologiques[15] d’une telle participation du public.
– Le second niveau d’arrimage, est l’existence d’une moralité de sens commun porteuse de valeurs fondamentales dont l’éthique savante devra tenir compte dans l’identification des valeurs phares qui serviront de guide pour l’action, en amont de la pluralité des moralités véhiculées par les divers groupes ethniques, religieux, politiques dans les sociétés pluralistes contemporaines.
La réflexion sur le rôle de ces valeurs repose sur plusieurs considérations préalables quant à la façon de concevoir l’éthique et la délibération. Rappelons ici brièvement certaines de ces considérations :
1) contrairement à la morale, qui repose sur des dogmes et des normes qui doivent être impérativement respectés et soustraits à la discussion, l’éthique est le lieu d’un questionnement ouvert des morales à travers la confrontation des points de vue.
2) En tant qu’espèce de discussion, l’éthique ne reconnaît aucun principe comme ayant de valeur absolue. Le résultat de la délibération éthique sera inévitablement l’empiétement, tout au moins partiel, sur certains des principes reconnus comme base de délibération.
3) La délibération éthique doit être démocratique et élargie pour faire place à l’ensemble des parties concernées, savants et profanes.
4) La délibération ne peut être productive que si les parties présentes, s’entendent au préalable sur une série de principes (ou de valeurs) qui serviront de fondement à l’analyse éthique.
5) Suivant la conception habermassienne de l’ éthique de la discussion, la moralité d’une action est fonction du caractère éthique de la discussion. La validité morale n’est pas donnée au départ par des valeurs ou des principes, aussi justifiables soient-ils, mais elle se présente en tant que « construction » entre acteurs raisonnables.
6) Le consensus n’est qu’un idéal à viser et n’existe que comme consensus par confrontation entre les valeurs et points de vie avancés par les divers participants à la discussion ; il résulte d’un choix rationnel, argumenté.
L’éthique publique « est un lieu de construction des raisons communes productrices de cohésion sociale dans un contexte de pluralisme moral et culturel ».
Ce qui consisterait l’objet de la délibération éthique, serait un vocabulaire éthique partagé composés non plus de principes dérivés des seules théories éthique savantes, mais aussi, complémentairement, des valeurs fondamentales constitutives d’une éthique populaire, partagée par la population à un moment donné de son histoire. Neuf valeurs ont été proposées dans le contexte québécois soit celles de la promotion de la vie en santé et du bien-être, les protections des groupes et des individus vulnérables, la bienfaisance, la responsabilité, la solidarité, l’autodétermination , le respect de la vie privée et de la confidentialité ainsi la justice sociale, auxquels s’ajoutent deux principes à caractère plus épistémologiques d’incertitude et de précaution[16]. (Ces valeurs ont été retenues comme « repères pour une éthique », dans le programme national de santé publique au Québec). Une intervention sera éthiquement acceptable si les empiétements sur certaines de ses valeurs demeurent acceptables en regard du contexte global dans lequel les interventions sont mises en œuvre et des bénéfices que peuvent se retirer les populations ciblées. Sans bases partagées de discussion par l’ensemble des parties convoquées à la délibération, chaque groupe d’intérêt risque de se replier sur sa propre hiérarchisation de ces valeurs. La discussion dérape : on s’expose à des résultats découlant plus de rapports de force ou de la sophistication de l’argumentation. Et l’expertise savante sera toujours plus habile pour promouvoir des principes appuyés sur des théories que des valeurs partagée par la société concernée.
Une fois ces préalables établis, revenons aux fondements de ces valeurs, phares et ces ancrages dans l’expertise éthique profane. L’éthique profane est enracinée dans deux sources complémentaires : une moralité que Rozin[17] et Leitchter[18] définissent profane soit comme un ensemble hiérarchisé de croyances, d’attitudes et de valeurs à portée morale construit par une population face ç un problème de santé et de comportements associés. Elle suppose que toute population véhicule un certain nombre de présupposés « moraux » en ce qui concerne l’acceptabilité de certain état de santé, de certains comportements à risques et de certaines interventions. Ce savoir découle d’un processus de moralisation définit comme la transformation, par l’individu ou par la société, d’une activité moralement neutre en une activité ayant un poids moral significatif qui répond des impératifs « doit ou ne doit pas »[19]. Anthropologiquement, il serait intéressant d’analyser les valeurs morales en fonction desquelles les individus départagent le bien et le mal, tout en décrivant les modalités de leur cohabitation et de leur confrontation à l’intérieur de chaque société[20]. Ces moralités populaires n’évoluent pas en vase clos. Elles combinent des valeurs, normes, vertus et principes proposées par les religions, l’état, le système d’éducation et autres institutions sociales. Toutefois, en dépit de sa pertinence, cette expertise éthique profane présente des limites importantes. La santé publique ne peut subordonner la délibération éthique au moralisme qui associe trop directement certains problèmes de santé avec la dissolution morale, qui stigmatise certaines sous populations et en arrive à confondre prévention et moralisation. Si l’éthique de la santé publique ne doit pas se placer à la remorque de ces moralités sanitaires profanes, elle peut y avoir un premier lieu d’expression de certaines des valeurs fondamentales que la population souhaite voir respecter par les interventions de santé publique.
Une seconde source de l’éthique profane est une moralité de sens commun définie comme ensemble de valeurs et principes largement partagés par l’ensemble des acteurs sociaux concernés. Pour Robert Veatch[21], une telle « common morality », « commune moralité », réfère aux croyances morales ordinaires qui découlent, non pas de la raison pure, d’une loi naturelle ou théorie universelle, mais d’une conscience préthorique de certaines normes morales essentielle au fonctionnement des sociétés. Pour Beauchamp et Childress, qui en ont fait le fondement de leurs principes bioéthiques, la moralité de sens commun est ce nœud central de la moralité qui apparaît sous une forme ou une autre dans presque toutes les théories éthiques. Elles réfèrent aux normes, vertus, règles, valeurs et principes qui sont suffisamment partagées, en dépit des variantes ethniques et religieuses, pour servir de base à un consensus stable. Elle véhicule donc une conception fondamentalement pluraliste du bien. Ils y voient une force normative apte à définir des normes morales acceptables par le plus grand nombre. Ceci n’exclut pas l’existence des moralités spécifiques à certain groupe religieux ou ethniques ou à une certaine institution sociale et sanitaire. Mais la moralité des sens communs exprimerait un dénominateur commun partagé par chacune de ses moralités particulières. Plusieurs critiques ont été adressées à cette notion[22]. Mais elle demeure prometteuse et Robert Veatch en appelle même à un « commom morality project » « projet de moralité commune », qui fédérerait les divers chercheurs engagés dans la recherche empirique et théorique sur cette moralité de sens commun. L’expertise éthique savante devra, selon Achard[23], toujours savoir composer avec une telle éthique du sens commun. Telle est aussi la préoccupation de John Rawls[24] ou de Norman Daniel[25], qui y voient une avenue pour la construction d’un « équilibre réflexif », soit d’un ajustement mutuel de la théorie savante aux intuitions éthiques populaires et aux jugements construits qui seraient la base de notre « grammaire morale ».
Ce quatrième défi qu’aura à relever l’expertise éthique savante en santé publique, implique donc l’identification de valeurs phares ancrées, entre autres, dans les moralités sanitaires profanes et une éthique de sens commun. Il implique donc un programme multidisciplinaire dans lequel les sciences morales auront un rôle central à jouer. Non seulement de critique externe de l’expertise mais de participation active dans sa construction. Tout en poursuivant le travail d’expertise critique du système de santé publique, elles devront s’attaquer à l’immense tâche d’identifier, documenter et définir les valeurs phares qui serviront de base à la délibération éthique de la santé publique sont partagées par la population. Les valeurs de justice sociale, de respect de l’autonomie, de la confidentialité, du bien commun, de la responsabilité sont autant au cœur de l’éthique profane qu’ils ne sont des principes généralement reconnus à travers les théories éthiques savantes. Mais l’enjeu est justement d’identifier les dénominateurs communs : globalement, si l’éthique savante souhaite prétendre protéger la population des abus des interventions de la santé publique, une étape obligée sera de savoir composer avec une éthique profane. Pourtant, opter pour une approche sensible aux valeurs et à la participation populaires ne garantit en rien la pertinence éthique de ces valeurs. Encore, faut-il, comme le souligne Ubel[26], soumettre cette expertise profane à la même analyse critique qui a guidé la réflexion sur les limites de l’expertise savante.
Comment assurer la cohérence d’une éthique, dans les sociétés fortement pluraliste au plan ethnique et religieux ? Une éthique de la santé publique devrait reposer sur des valeurs phares face auxquelles les minorités et l’ensemble des sous-groupes sociaux de la majorité, doivent être solidaires. L’identification de telles valeurs partagées pas des formes novatrices d’arrimage des expertises éthiques savante et profane. Elle constitue certainement l’un des défit majeurs qui attendent une éthique en santé publiques, dans les décennies à venir. En fait, dans les sociétés pluralistes modernes, l’éthique de la santé publique doit être définie comme un processus d’arbitrage de valeurs phares reconnues comme base nationale de discussion, afin de transcender les risques associés à des éthiques communautaristes ? Pour disposer d’une base nationale de discussion éthique, respectueuses autant de principes définis par l’éthique savante que des moralités sanitaires profanes et d’une moralité de sens commun cette délibération éthique doit dépasser le postulat d’Habermas, voulant qu’une discussion libre, juste et ouverte légitime, par elle- même, « le pouvoir du meilleur argument ». Il ne faut pas réduire l’éthique de la discussion à la simple démocratie participative reposant sur la multiplication des outils de consultation. Il faudra savoir intégrer l’expertise éthique savante et profane, mais d’abord en amont de la délibération, soit dans la définition des valeurs phares soumises au processus de pondération, d’équilibrage et d’arbitrage. Il faudra tout autant éviter les dérives d’un romantisme éthique naïf, et d’un populisme méthodologique. L’expertise éthique devra compter sur une implication active des professionnels de la santé publique, porteur d’un savoir et d’une expertise stratégique. Mais surtout, il faudra savoir reconnaître que la discussion éthique, même en combinant éthique savante et profane, même en proposant un vocabulaire de base pour la délibération, ne conduira pas toujours à des consensus. La part d’indécision, de relativisme et d’irréductibilité des justifications éthiques expertes requerront un arbitrage ultime, venant de l’extérieur de l’éthique.
Emmanuel Leclercq.
Septembre 2012
Plan.
L’éthique appliquée suscite depuis quelques années, un intérêt certain. Une demande toujours plus accrue de « gouvernance éthique » semble se confirmer dans nos sociétés, et, avec elle, la nécessité d’un recours à des « experts en éthique ». Mais en quoi peut consister cette expertise ? Il est vrai que ces « éthiciens » que l’on qualifierait « d’expert en éthique », ne peuvent pas être des donneurs de leçons de moral avec des réponses toutes faites, mais bien plutôt des personnes, qui, de par leurs connaissances précises, éclairent et accompagnent les débats éthiques auxquels se trouvent confrontés en permanence les citoyens.
Le terme « éthicien » a d’emblée des connotations négatives : en effet, l’éthicien serait le moralisateur, celui qui délivre un « tu dois ». Il sera intéressant de travailler à la fois sur la recherche en éthique (fait par l’éthicien), mais aussi sur l’éthique de l’éthicien.
Qu’est-ce que l’éthique, quelle est sa conception, quel est son champs d’application ?
L’expérience de quelques théories morales permettra d’insister sur l’importance des rapports entre l’éthique et les institutions. Pour comprendre ce qu’est l’éthicien, sur sa définition, sa fonction, réfléchissons tout d’abord sur l’éthique.
I) L’éthicien : son histoire ?
II) Conception de l’éthique :
Il est intéressant de rappeler que la conception éthique est dominée par deux grands courants :
1) Le conséquentialisme (construit autour de l’idée que notre seule obligation morale est de maximiser les bienfaits causés par nos actions, ou tout au moins d’en minimiser les conséquences néfastes.
2) Le Déontologisme : les partisans de ce courant estiment que certaines règles ont une autorité morale catégorique, c’est-à-dire que les agents humains devraient d’y conformer, quelles que soient les conséquences des actions que ces règles dictent.
La définition que l’on pourrait retenir est celle de placer l’éthicien à mi-chemin de ses deux options. Mais aucune théorie normative ne peut se substituer à la démarche morale personnelle même si elles peuvent en induire fortement les caractéristiques.
3) Il y a deux conséquences issues de ces remarques :
– La réflexion éthique ne se substitue pas au jugement moral : les concepts et théories éthiques ne peuvent être considérés comme se substituants à la réflexion morale des individus. Ces éléments ne font qu’illuminer les points les plus saillants des questions morales mais n’indiquent pas directement ce qu’il faut décider.
– La réflexion éthique ne concerne pas la discussion des finalités de l’existence humaine et des obligations envers soi-même : Certain philosophes estiment que la réflexion éthique devrait également s’étendre aux finalités de l’existence humaine. Elle devrait tenter de répondre à la question des comportements et activités qui, même s’ils n’enfreignent pas les droits de quiconque, devraient être condamnés moralement. Il y a toutes sortes de manières de concevoir les valeurs et pratiques qui constituent la vie bonne. Une éthique qui chercherait à les hiérarchiser risquerait de devenir très rapidement une justification à peine voilée de l’intolérance. Elle doit dans un contexte pluraliste céder le pas devant une éthique plus minimale qui accepte que les gens se livrent à ce que John Stuart Mill appela « des expériences de vie », en insistant sur le fait que ce faisant, ils ne commettent aucun tort envers autrui.
III) Intérêt de ces réflexions pour penser l’éthique.
De nos jours, il devient indispensable de réfléchir quant à un cadrage institutionnel de la réflexion éthique. En effet, cette dernière repose sur plusieurs principes :
-la réflexion éthique devient pratique lorsqu’on la mène en référence à un contexte institutionnel.
-le travail de l’éthicien doit comprendre une part importante de l’analyse institutionnelle.
-l’étude des questions éthiques dans un cadre institutionnel permet de penser des questions qui, sur le plan social dans son ensemble sont indécidables.
-la gestion de ces questions dépend on pas de ce que nous réussissons à surmonter différends, mais de ce que nous parvenons à élaborer des procédures de délibérations et de décision qui nous permettent de vivre avec ces différends.
A partir de ces points d’appui, il parait possible de proposer un argumentaire en trois temps :
– Dégager ce qui fait la spécificité institutionnelle de l’institution médicale actuelle.
– En déduire les questions éthiques que cette analyse laisse supposer
– Présenter en quoi le concept « d’éthique minimale » paraît intéressant pour répondre à certaines d’entre elle.
A) Spécificités morales de l’institution médicale.
La vie en communauté, et en particulier en communauté démocratique, impose de définir continuellement les limites de la liberté de chacun, sans pour cela créer des catégories étanches de personne. De ce problème, « la démocratie va chercher la solution dans ses institutions, qui introduisent un minimum de distance entre la cité et les citoyens sans recréer une division asymétrique entre dominant et dominé et sans établir un « état » radicalement séparé de la société [27]». Cette fonction de stabilisation des usages et modes de vie pour les rendre compatibles entre eux, peut-être considérés comme une des fonctions premières des institutions.
Cette première approche va donc plutôt dans le sens de ceux qui estiment que les institutions peuvent constituer une forme de « ciment » de la société. Une telle conception rend légitime la définition d’une « morale institutionnelle », en général approuvée par la plus grand nombre. Cependant, par la promotion de certains comportements et la sanction d’autres, cette morale plus ou moins implicite conduit souvent à réprouver des modes de vie ou simple motif qu’ils sont étrangers à la norme. De là, on peut considérer qu’il existe au moins deux modalités d’action pour les acteurs institutionnels :
– Considérer que l’Etat « doit veiller à promouvoir ou défendre une « morale positive » d’une société donné [28]».
– Essayer, dans la mesure du possible, de respecter des principes de neutralité morale en tentant de mettre à distance la morale institutionnelle du moment.
B) L’éthique professionnelle ou le positionnement personnel
L’homme croit en la justice. De manière général, cette intériorisation de la croyance en la justice du monde est fortement encouragée et soutenue par l’homme qui croit en « la société telle qu’elle est, qui croit au respect pour le fonctionnement des institutions »[29]. la morale institutionnelle à a voir avec le développement d’une croyance dans la justice du monde comme autorisant un lien entre efforts fournis et gratifications obtenues. Cette proposition permet de poser dans des termes précis , la question du positionnement des acteurs car au regard de cette « fiction nécessaire »[30], deux options peuvent être adoptées par chacun d’entre eux :
– soit porter une conception d’un monde juste en sachant qu’elle est, pour une large part, une fiction.
– Soit refuser d’en faire le fondement de son action en prenant ainsi le risque d’être en rupture par rapport aux pratiques communes et en se trouvant face à la nécessité de construire, à chaque instant, une représentation personnelle du bien ou du juste.
IV) L’éthique minimale et l’éducation, « l’apprentissage » à l’éthique
Il ne s’agit pas de trancher pour l’une ou l’autre des approches mais plutôt de rechercher dans quelles conditions la seconde peut-être tenue par des professionnels de l’éthique : parce qu’elle repose sur les notions de bien et de juste, il est probable qu’elle relève d’un positionnement moral et c’est sur ce point d’appui que va sortir le raisonnement qui suit :
Pour devenir « éthicien » doit-on être éduquer à l’éthique, doit on être à « l’école de l’éthique » ?
A) L’education à l’éthique : une question morale.
L’éducation est une production humaine. En particulier dans un environnement démocratique, il n’y a pas de décision ne pouvant être remise en cause. D’autre part, l’éducation à l’éthique doit être un horizon, pour conserver son objet même qui est de ne pas disposer d’une toute puissance par rapport au devenir des individus dont elle a la charge : c’est une condition pour que celle ci reste un projet.
De nombreux auteurs ont théorisé cette proposition. Ainsi, AM Drouin-Hans, « c’est parce que l’humanité est imparfaite, que les universalisables sont à repenser sans cesse »[31]. De façon encore plus nette, J Dewey pose que le « souhaitable » pour l’éducation est fondamentalement mouvant puisque lié à un monde où aucune valeur morale ne peut s’imposer durablement.L’éthique a droit à une éducation car éduquer c’est toujours se confronté à la question des fins poursuivis et de leurs redéfinition éventuelle. Cette réalité est de nature morale puisqu’elle induit une prise de position sur des conception de la vie bonne.
L’homme ne peut donc échapper à la prise de conscience d’un contexte pouvant par nature. On peut considérer que la volonté même d’affronter continuellement l’imperfection relève d’un engagement moral : c’est une volonté qui veut la fin avec les moyens qui la rendront possible. On retrouve par là-même, la pensée d’Aristote pour qui « l’action moral (est) d’abord action technique, c’est à dire action dans et sur le monde »[32].
Trois résultats peuvent être proposés maintenant :
B) Intérêt de l’éthique minimale.
1) Présentation de la notion
Suivant D Weinstock, dans sa conception minimale de l’éthique, c’est à dire en la contonnant aux questions du « vivre ensemble », relève une tentative pour lutter contre une forme de maximalisme moral (Le paternalisme), visant à caractériser moralement une grande partie des questions humaines et en particulier celles qui concernent le rapport de soi comme le rappelle A Renaut, « sous les effets combinés de la logique d’individuation des comportements, et de la pertes des repères partagés, le risque est grand de basculer vers une sorte de blindage moral dont on voit mal comment i ne contiendrait pas en lui-même le péri d’un amoindrissement des libertés »[33].
Une définition précise de ce que l’on peut entendre par éthique minimale » est proposée par Ruwen Ogien. Ses propositions se situent à la fois dans le champ normatifs et dans celui de l’éthique appliquée autour du principe de « non nuisance », développé par JS Mill, et sont organisées autour de l’idée selon laquelle « ce que nous faisons de nous-même n’a aucune importance morale » (indifférence morale du rapport à soi-même). L’éthique minimale, telle que concue par R. Ogien, repose sur trois principes : 1) Principe de considération égale, qui nous demnde d’accorder la même valeur à la voix ou aux intérêts de chacun. 2) Principes de neutralité à l’égard des conceptions du bien personnel. 3) Principe d’intervention limités aux cas de torts flagrants causés par autrui[34].
2) Pistes de travail minimaliste
En permettant de distinguer des termes souvent confondu, cette approche peut aider à une plus grande efficacité des réflexions morale, pour penser et conduire leur activité. A titre d’exemple, on peut penser en première analyse trois pistes de travail allant dans ce sens :
a) Distinction minimalisme/ Relativisme : minimiser le champ de la morale n’est pas équivalent à prôner « le tout se vaut », mais simplement à considérer comme premier la pluralité des points de vues.
b) Distinction inconfort/injustice : Aujourd’hui, il est urgent de concentrer son action sur la lutte contre les déterminismes sociaux plus que sur la défense d’une morale.
c) Distinction promotion/respects des valeurs : Réduire le champ d’application de la morale peut aller de pair avec le refus de « simplement » ne pas être en contradiction avec ses valeurs. On retrouve ici même, la filiation conséquentialiste de l’éthique minimale.
Il semble donc que l’on puisse s’appuyer sur une conception minimale de l’éthique pour réaliser des avancées dans trois directions :
– le discernement moral comme levier pour considérer chaque situation pour elle-même. C’est sur ce typer d’approche que certains auteurs[35] on construit les principes d’une éthique publique à partir de deux idées forces : 1) La perrceotion de l’aspect provisoire des positionnements. 2) une plus grande compréhension des situations.
– Un passage du « bien » au « juste » comme support de la morale institutionnelle et moyen de la prise en considération moral de chacun (refus de paternalisme).
– Le recours à un principe d’intervention limités aux tords flagrants causés à autrui comme moyen de majoration de l’engagement moral des acteurs.
V) la vraie figure de l’éthicien.
Conclusion (éléments importants qui apparaîtront dans la ccl)
Il est impossible de disposer d’une expertise définitive en éthique. le rôle de l’éthicien est donc beaucoup plus d’éclairer que de trancher.
Cependant, l’apport de l’éthicien aux questions d’éthique professionnelle est possible pour au moins deux raisons:
-parce que les professionnels manquent de temps pour travailler ces questions en sus de leur activité journalière.
-parce que l’éthicien peut mettre à leur disposition un répertoire conceptuel leur permettant de nommer avec précision les écueils éthiques auxquels se heurtent la pratique.
J’ai tenté d’effectuer ce cheminement en tant de respecter deux phrases de l’ouvrage de Weinstock[36]:
1) « l ‘éthique professionnelle soit procéder avec prudence, en tenant compte des exigences institutionelles, mais en ne cédant jamais à la tentation de penser que ces exigences excusent tout ».
2) « l’éthique ne peut-être un savoir totalement extérieur au domaine qu’elle cherche à prendre en compte ».
Dans le monde actuel, les questions morales sont souvent posées de façon sommaire: soit par le refus d’affronter la réalité d’un monde pluraliste et par le recours à priori à des valeurs universelles et indépassables, soit au travers d’un apprentissage étranger, à tout choix axiologique.
(je souhaite comprendre ce qu’est l’éthicien en proposant comme outils d’analyse, l’éthique minimale : l’éthique minimale permet une formulation plus précises des questions éthiques qui aide à la définition d’un positionnement et à l’action. Ce chemin est me semble t-il difficile car il induit une « solitude éthique » : en effet, engager une délibération éthique, c’est souvent remettre en cause l’adhésion à des discours ou pratiques habituels.
[1] Max Weber. Texte : Ethique de conviction et éthique de responsabilité.
[2] -Dozon JP, Fassin D. Critique de la santé publique. Une approche anthropologique. Paris : Editions Balland. 2001.
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[5] Gesang B. Are moral philosophers moral experts ? Bioéthics 2010, 24 (4) : 153-9
[6] Powers M. Boethics as Politics : The limits of Moral expertise, Kennedy Institue of Ethics journal 2005 ; 15 (3) : 305-22
[7] Il est à noter d’ailleurs que, règle générale, les éthiciens admettent aisément ces limites à leur expertise. Ce sont plutôt les décideurs et les professionnels de terrain qui ont des attentes démesurées face à une expertise qui légitimera leurs pratiques.
[8] Caplan AL Moral experts and moral expertise. In : Hoffmaster B, Freedman B, Fraser G. Clinical Ethics. Theory and Practice, p. 89-99 Clifton : Humana Presse, 1989.
[9] Gesang B. Are moral philosophers moral experts ? Bioéthics 2010, 24 (4) : 153-9
[10] Kovacs J. The transformation of (bio)ethics expertise in a world of ethical pluralism. Journal of Medical Ethics 2010 ; 36:767-70
[11] Veatch RM. The roles of scientific and normatifve expertise in public policy formation : the anthrax vaccine case. In : Rasmussen L. ed. Ethics Expertise, PP. 211-25, Dordrecht : Springer, 2005.
[12] Il est intéressant de voir dans ce concept, une métaphore à des valeurs fondamentales partagées par les citoyens d’une société donnée et qui pourront éclairer et baliser la réflexion sur l’éthiquement acceptable.
[13] -Calvez M. « les signalements profanes de clusters de cancers : épidémiologie populaire et expertise en santé environnementale ». Sciences Sociales et Santé 2009;27 (2) : 79-106
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[19] Rozin P. Moralization. In : Brandt AM, Rozin P (dir), Morality + Health. pp. : 379-401. New york et London : Routledge ; 1997.
[20] – Massé R. santé publique : enjeux éthiques et balises pour une ethnoétique de la promotion de la santé. In : Hachimi Sanni Yaha (dir.) Pouvoir médical et santé totalitaire. Conséquences socio-anthropologiques et éthiques, pp. 59-80, Québec : Presses de l’Université Laval.2009.
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[22] – Massé R. Anthropologie des moralités et de l’éthique. Essai de définition, Anthropologie et Sociétés, 33 (3) : 21-42, 2009.
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[27] CASTORIADIS, Cornelius. La cité et les lois : ce qui fait la Grèce, 2. Paris : Seuil, 2008. P 19
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[29] DURUT-BELLAT, Marie. Le mérite contre la justice. Paris : PU Science Po, 2009. P 36
[30] DUBLET, François. Faits d’école. Paris : Ed de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2008
[31] DROUIN-HANS, Anne-Marie. L’éducation, une question philosophique. Paris : Economica, 1998. p 62
[32] AUBENQUE, Pierre. La prudence chez Aristote. Paris : PUF, 5eme ed, 2009. p 175
[33] RENAUT, Alain, Quelles éthique pour nos démocraties ? Paris : Buchet/Chastel, 2011, p 148
[34] OGIEN, Ruwen. La panique moral, Paris, Grasset, 2004
[35] JUTRAS M, MARCHILDON A (2003), Guide d’éthique organisationnelle, ENAP, Québec p 16.
[36] Weinstock, Daniel. Profession Ethicien. Montréal : PUM, 2006.